A travers l’histoire le poil est un grand révélateur, bien plus qu’un simple geste d’hygiène ou de mode, l’affichage ou l’ablation du poil est un révélateur de statut social mais c’est aussi un outil politique. Très souvent signe de virilité chez l’homme, de manière générale on préfère le cacher chez la femme. Comme nous avons vu dans l’article précédent qui traite les tendances de la préhistoire au Moyen Age, l’obsession du poil ne figure pas uniquement dans les pratiques récentes.
L’ÉPOQUE MODERNE
Alors que pendant le Moyen Age, le christianisme en Europe obligeait les croyants à respecter leur état naturel et à garder la pilosité que Dieu nous a donnée, l’Islam maintient qu’il ne faut pas de poil sur le corps pour des raisons de pureté. Le poil du pubis et des aisselles doit être retirés ou rasés pour être considérés comme « Sunna », en revanche la barbe reste digne. A travers l’histoire de l’Islam, femmes et hommes fréquentent des hammams pour se purifier, s’épiler, mais aussi pour parler. Les offices de barbiers à Istanbul deviennent de vrais lieux de discussions politiques. La politique et le poil sont inextricablement liés.
En Europe, à l’aube de la Renaissance, les chrétiens reprennent l’épilation. La Renaissance pourrait en effet être considérée comme l’âge d’or de l’épilation. On observe une prolifération de livres de recettes ménagères, souvent intitulés « livres de secrets », dans lesquels on retrouve une myriade de recettes maison pour des crèmes dépilatoires et des méthodes d’épilation. Si on prend l’œuvre de Michel-Ange comme exemple des tendances de l’époque, les femmes sont strictement représentées sans poils. Le David porte des poils très stylisés, mais les nus masculins au plafond de la chapelle Sixtine ne présentent aucun poil pubien. La barbe, en revanche, reste symbole de force et de dignité. Certaines expressions liées au poil émergent tel que « faire la barbe à quelqu’un » ce qui veut dire duper, ou même décapiter. Selon le linguiste Maurice Rat, l’expression viendrait de la pratique militaire au Moyen Age de raser la barbe des vaincus afin de les humilier, ce qui rappelle les femmes tondues à l’époque de la libération après la Deuxième Guerre mondiale. Souvent le poil représente la force d’un individu. On pourrait presque imaginer qu’il a un pouvoir magique, comme suggère l’histoire biblique de Samson et Dalila.
LA REFORME ET LES TEMPS RÉVOLUTIONNAIRES
La réforme protestante marque la fin de l’emprise de l’Église catholique sur l’Europe occidentale, la monarchie absolue s’installe et le peuple a comme devoir de se faire à l’image de son souverain. De l’autre côté de la Manche, la reine Elizabeth I semblerait manquer de sourcils et s’épile la naissance des cheveux pour se donner un front plus prononcé. Rousse, son poil est quasiment imperceptible, et le look devient à la mode. Les femmes se procurent des pigments pour se teindre à son image, d’autres épilent leurs sourcils et se dégarnissent la chevelure.
En France, Louis XIV perd ses cheveux à 20 ans suite à une maladie et a très peu de pilosité. Il se met à porter une perruque et la cour l’imite. Très chère, la perruque devient un vrai discriminateur social. Louis XIV porte une perruque noire jusqu’à un âge avancé, mais quand il commence à se montrer avec des cheveux blancs, les aristocrates se mettent à en faire autant, une tendance qui perdure jusqu’à la Révolution.
« Les perruquiers, les coiffeurs emploient tellement de farine pour poudrer les perruques, que ça contribue à affamer le peuple. On a là quand même un révélateur des très grandes différences sociales et puis de la crise économique et sociale qui va conduire à la révolution, » note Joël Cornette, auteur d’Histoire du poil, Editions Belin 2011.

L’ÉPOQUE CONTEMPORAINE
En 1797, le peintre espagnol Francisco Goya fait scandale avec La Maja Desnuda. Le tableau est considéré comme la première œuvre d’art occidentale qui représente les poils pubiens d’une femme nue sans connotation négative. La Maja pose un regard direct et sans honte sur le spectateur, ce qui donne lieu à des spéculations que le modèle fut la maitresse de l’ancien premier ministre Manuel de Godoy, le premier propriétaire enregistré du tableau. En 1815 Goya est convoqué devant l’Inquisition qui estime le tableau immoral. Ils tentent de connaître le nom de celui qui l’aurait commandé, mais le résultat de l’enquête est inconnu.
La célèbre anecdote de la nuit de noces du critique d’art anglais John Ruskin en 1848 illustre à quel point la représentation de la femme à travers les âges peut influencer l’image que la société se fait d’elle. Ruskin aurait été tellement repoussé par la vue du corps de sa fiancée qu’il fut incapable de consommer le mariage. Son épouse Effie Gray explique dans une lettre « il avait imaginé que les femmes étaient tout à fait différentes de ce qu’il voyait. Il était dégoûté par ma personne ».
La révolution industrielle donne naissance à des moyens plus faciles de se débarrasser du poil avec l’invention en 1760 du rasoir coupe-chou par le barbier français Jean Jacques Perret. Mais c’est en 1885 que l’ingénieur américain King Camp Gillette entre en jeu quand il imagine le premier rasoir de sûreté qui ressemble davantage à celui qu’on emploie aujourd’hui. Le rasoir arrive sur le marché en 1901, une date qui correspond curieusement à la fin d’une pratique chez les femmes de porter la perruque pubienne nommée le « merkin ».
Le merkin qui remonte au 15ème siècle était surtout porté par les courtisanes et les prostituées (mais pas uniquement) qui s’enlevaient le poil du pubis pour éviter les infestations de morpions et recouvraient leur intimité avec un postiche parfois même de couleur fantaisie. C’était également une façon de cacher les ravages des MST. Le merkin refait surface aujourd’hui à Hollywood et dans le monde du fétichisme.

DU 20EME SIÈCLE A NOS JOURS
Au tournant du siècle la mode expose de plus en plus les jambes et les aisselles des femmes. Les hommes affichent une pilosité faciale soignée. Le rasoir devient un outil de tous les jours.
En 1917 Modigliani expose une série de tableaux à Paris. La police vient le jour de l’ouverture pour fermer les portes. Accusé d’obscénité, l’artiste italien exposait des tableaux représentant des femmes nues avec les poils pubiens en vue, aujourd’hui considérés comme son œuvre phare. Le grand public n’est décidément toujours pas prêt à voir la femme dans son état naturel.
Lors de la Grande Guerre on voit renaitre l’expression le « poilu ». Cet euphémisme qui remonte au moins à cent ans auparavant signifie quelqu’un de courageux, de viril. Le port de la barbe est interdit avec les masques à gaz, Albert Dauzat explique dans son ouvrage L’Argot de la guerre que le poilu « ce n’est pas l’homme à la barbe inculte…c’est l’homme qui a du poil au bon endroit, pas dans la main ! »
C’est un peu plus tard dans le siècle qu’une certaine moustache vient bouleverser le monde. Les chefs d’entreprise et les hommes politiques ne portent plus la barbe à partir de 1945. La moustache en brosse à dents heurte tellement le public que pendant plus de cinquante ans, les hommes gardent un aspect glabre. Le poil avait acquis une connotation politique plutôt sombre à la sortie de la seconde guerre mondiale. La moustache de Hitler, de Staline, ou encore plus récemment celle de Saddam Hussein ou la barbe des extrémistes vient perturber le rôle traditionnel de la pilosité masculine.
L’invention du bikini en 1946 incite les femmes à se raser de plus en plus, mais quelques décennies plus tard, une minorité contestataire décide de retourner à l’état naturel. Le look sauvage des hippies fut une prise de position politique contre le système, mais ça n’a pas duré longtemps.
ARTICLES DE RÉFÉRENCE :
https://www.theguardian.com/lifeandstyle/shortcuts/2014/jul/06/john-ruskin-repulsed-by-wifes-pubic-hair
https://www.franceculture.fr/emissions/les-matins/histoire-du-poil
http://www.expressio.fr/expressions/faire-la-barbe-a-quelqu-un.php
https://www.theatlantic.com/health/archive/2014/07/eyebrows-why/374479/
https://www.bustle.com/articles/48042-pubic-hair-trends-over-time-from-tweezer-happy-ancient-greece-to-your-last-painful-wax
https://www.theguardian.com/theguardian/2003/jun/26/features11.g2
Laisser un commentaire
Participez-vous à la discussion?N'hésitez pas à contribuer!